Une décision qui a fait grand bruit ces dernières semaines : la condamnation d’IBM à près de 11 millions d’euros, dont plus de 9 millions à titre de dommages intérêts. Outre le montant intrinsèque de la condamnation, la raison de l’émoi créé par cette décision tient à son fondement juridique : le dol.
Le dol est une notion juridique qui recouvre un ensemble d’agissements trompeurs déployés en vue de capter le consentement d’une partie à un contrat, consentement qu’elle n’aurait pas donné, si ces manœuvres n’avaient pas été mises en œuvre. De manière schématique, le dol s’entend de la volonté de tromper son cocontractant. Le dol est donc sanctionné par la nullité du contrat qui a été souscrit sur la base des manouvres dolosives qui ont entouré sa conclusion.
Les faits étaient les suivants :
La MAIF, souhaitant refondre son système de CRM, a retenu le progiciel SIEBEL et lancé un appel d’offres en vue de sélectionner un intégrateur. IBM est retenue.
IBM effectue en mai 2004 une étude (243 jours pour un montant de 212 000 € HT), en vue de poursuivre l’analyse des besoins et de l’environnement de la Maif. A la suite de cette analyse un contrat d’intégration est conclu (décembre 2004) par lequel IBM se voit confier, en qualité de maître d’œuvre, la conception et la réalisation de la solution, le pilotage, la coordination de l’ensemble des prestations visées au contrat, l’intégration, la reprise des données et de l’assistance à la recette. A ce titre et ainsi que l’a relevé le tribunal, « IBM s’engageait à fournir, sur la base d’une obligation de résultat (article 29.1 et 3), une solution intégrée conforme au périmètre fonctionnel et technique convenu entre les parties le (article 29), en respectant un calendrier impératif prévu (article 6) et pour le prix forfaitaire ferme et définitif de 7 302 822 € HT (article 22 et annexe 4). »
Par la suite des délais s’accumulent et des avenants de majoration de prix sont régularisés sans que le projet n’avance véritablement ; IBM finissant par conclure en novembre 2005 à la non faisabilité technique du projet dans les conditions initiales.
Fin mars 2006 IBM annonce un délai des délais supplémentaires et un budget supplémentaire de 5 000 000 €, portant ainsi le forfait total à 15 000 000 €.
Cette offre est refusée par la Maif en juin 2006, et met fin aux relations contractuelles.
La Maif demande la nullité du contrat pour dol, et, subsidiairement, sur l’inexécution lourdement fautive du contrat par IBM, tenant en échec la clause limitative des responsabilités.
Le tribunal (TGI NIORT 14/12/2009) fait droit à cette demande par deux attendus qui font la part belle aux stipulations contractuelles et à la qualité de professionnel d’IBM :
« En dépit des assurances contenues dans la réponse à l‘appel d’offres concernant son expérience et sa compétence, au delà d’un contrat d’étude qu’elle avait mené, au moyen de 243 jours/homme et pour le prix de 212 000 € HT, à fin de parfaire l’analyse des besoins de la Maif et de la définition de la solution cible, et à la suite d’un préambule rappelant le caractère déterminant de ces assurances pour le maître de l’ouvrage (préambule, article 6 : l’intégrateur a expressément affirmé \"disposer de l’expérience, de l’organisation, des moyens matériel et humains, des compétences nécessaires pour mener à bien la réalisation de l’intégration, avoir disposé de l’ensemble des informations utiles pour prendre la mesure de ses engagements\"), IBM a présenté à la Maif un projet affecté d’une \"lacune majeure\" pour, en violation \"aux normes et aux règles de l’art\", contenir un planning et un prix forfaitaire arrêtés avant même le stade de la prise en compte de la conception détaillée, prenant ce de fait \"un risque fort pour répondre à la demande de la Maif”, c’est à dire obtenir le marché.
En gardant le silence sur le risque \"fort\", \"élevé\", encouru quant à la satisfaction de conditions définies au contrat comme déterminantes (forfait, planning), et généré de son fait par la violation des normes et des règles de l’art, – risque qu’en sa qualité de professionnel hautement qualifié il ne pouvait ignorer, et dont, au demeurant il n’a jamais prétendu l’avoir méconnu, …. – le professionnel hautement qualité qu’est IBM, et dont au surcroît la qualification était expressément intégrée dans le champ contractuel, a obtenu de la Maif une adhésion viciée quant aux dits éléments contractuellement définis comme déterminants du consentement de celle-ci, et a ainsi caractérisé une réticence dolosive, qui affecte la validité du contrat » (1).
Le tribunal retient donc le dol, et en conséquence écarte la clause de limitation de responsabilité contractuelle et condamne en conséquence IBM :
– à la restitution des sommes perçues de la MAIF : soit 2 635 957,76 € TTNRC (2) moins 938 155,73 € correspondant aux livrables (chantier architecture) conservés par la MAIF
– 6 911 500,99 € TTRNC, au titre du préjudice résultant notamment de la rémunération de prestataires externes ainsi qu’à celle de prestataires internes, sur le projet
– 4 467 670 € TTRNC au titre des préjudices résultant de l’abandon du projet en raison « des répercussions directes sur l’évolution de l’ensemble des systèmes d’information de la Maif, générant des surcoûts liés aux adhérences entre les projets et des surcoûts engagés pour mettre en place des solutions palliatives »
– Les sommes ci-dessus portent intérêt à compter du 27 avril 2009
– Une somme de 50 000€ au titre de l’article 700
Cette décision a en outre été assortie de l’exécution provisoire, c’est à dire qu’IBM doit verser les sommes susvisées quoiqu’elle fasse appel.
En résumé, lorsqu’un projet va mal et connait de lourdes dérives, mieux vaut pour le prestataire traiter le problème dès qu’il prend conscience des difficultés que d’avancer en espérant que le client ne se lassera pas de ces dérives et augmentations de prix !
IBM a naturellement fait appel de cette décision.
L’arrêt d’appel ne manquera pas d’intéresser les acteurs de l’informatique.
(1) http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article= 2863
(2) TTNRC : toutes taxes non récupérables comprises